Une sorcière alsacienne dans l’engrenage de la chasse aux sorcières
Au cœur de l’Alsace du début du XVIIe siècle, une femme incarne la terreur que la sorcellerie inspirait aux autorités : la « Vaudoise de Rouffach ». Bien que son identité soit souvent perdue dans les archives, son cas est emblématique de la vague de persécutions qui a balayé la région. Dans une Europe déchirée par les guerres de religion, la chasse aux sorcières devient un instrument de contrôle social et politique. L'Alsace, terre du Saint-Empire romain germanique, est l'une des régions les plus touchées, avec des procès d'une brutalité exemplaire. La Vaudoise de Rouffach, comme des centaines d'autres, fut accusée du crime de sabbat, une croyance qui hantait l'imaginaire collectif et justifiait une répression d'une extrême violence.
Le sabbat : le crime imaginaire au service de l'ordre établi
L'accusation centrale pesant sur les prétendues sorcières était la participation au sabbat. Cette assemblée nocturne, décrite par les inquisiteurs et les juges, était une inversion sacrilège de la messe chrétienne. On y trouvait, disait-on, l'adoration du Diable, des baisers obscènes, des banquets cannibales et des orgies. Pour la royauté et les élites, ancrées dans l'idéal chrétien d'un pouvoir de droit divin, le sabbat représentait bien plus qu'une hérésie ; il était la preuve d'une conspiration satanique visant à détruire l'ordre social et la couronne elle-même. Le roi, lieutenant de Dieu sur Terre, voyait dans le satanisme l'ennemi absolu, un contre-pouvoir qui sapait son autorité et menaçait le salut de ses sujets. Combattre la sorcellerie était donc un devoir religieux et un impératif politique.

La procédure judiciaire : de l'accusation à la confession par la torture
Le processus qui menait une femme comme la Vaudoise de Rouffach au bûcher était codifié par des traités tels que le Malleus Maleficarum (Le Marteau des sorcières). L'accusation pouvait naître d'une rumeur, d'une vendetta personnelle ou simplement d'un malheur (mort du bétail, mauvaise récolte). Arrêtée, l'accusée était interrogée, souvent sous la torture. Les questions n'avaient pas pour but de découvrir la vérité, mais d'obtenir la confession des crimes que les juges s'attendaient à entendre : la renonciation à Dieu, le pacte avec le Diable et la participation au sabbat. La torture était méthodique – l'étirement sur la chevalet, l'épreuve de l'eau – et poursuivie jusqu'à ce que la victime avoue et dénonce des complices, alimentant ainsi le cycle des persécutions.
La condamnation et l'exécution : l'éradication par le feu
Une fois la confession obtenue, la sentence était presque toujours la mort par le bûcher. L'exécution publique était un spectacle destiné à purger la communauté du mal et à réaffirmer le pouvoir des autorités civiles et religieuses. En brûlant la sorcière, on croyait non seulement détruire son corps, mais aussi libérer son âme du pacte diabolique et protéger le royaume de l'influence de Satan. En Alsace, des villes comme Rouffach, Sélestat ou Molsheim ont vu des dizaines de ces exécutions. Le bûcher servait de leçon terrifiante : il montrait le prix de la rébellion contre l'ordre divin et la puissance d'un État qui n'hésitait pas à éradiquer ses ennemis intérieurs, réels ou imaginaires.
Un héritage historique : entre superstition et instrument du pouvoir
L'histoire de la Vaudoise de Rouffach et des milliers de victimes de la chasse aux sorcières en Alsace nous rappelle que la terreur peut être institutionnalisée. La croyance au sabbat et à la conspiration satanique fut une construction idéologique qui permit de canaliser les peurs sociales, de régler des comptes et d'asseoir l'autorité en désignant des boucs émissaires. Derrière les accusations de sabbat se cachait une volonté de contrôle absolu sur les consciences, où la déviance était assimilée à la trahison. La fin de ces persécutions, au siècle des Lumières, marqua un tournant décisif vers une justice sécularisée, mettant un terme à l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire européenne, dont l'Alsace porte encore aujourd'hui la mémoire dans ses archives et ses légendes.