Clotilde Bizolon, la maman des poilus

Enfance et origines paysannes
Clotilde Bizolon, née Marie Josèphe Clotilde Thévenet le 18 janvier 1871 à Coligny dans l’Ain, grandit dans une famille modeste de petits cultivateurs. Dès son plus jeune âge, elle apprend la valeur du travail manuel et de la solidarité villageoise, orpheline de père à douze ans, elle doit très tôt contribuer à l’économie du ménage, développant un sens aigu de la débrouillardise. À vingt ans, elle épouse un cordonnier lyonnais, Luigi Bizolon, et s’installe dans le quartier d’Ainay à Lyon, où elle exerce ce même métier et élève ses deux enfants, c’est dans cet univers de résistance quotidienne que se forge sa détermination à aider autrui, bien avant l’épreuve de la Grande Guerre.

L’épreuve de la guerre et la buvette de la “Mère Bizolon”
Lorsque la guerre éclate en 1914, Clotilde, devenue veuve et ayant perdu son fils Georges au front en 1915, voit affluer de nombreux poilus dans la gare de Perrache. Armée de son courage et d’un chariot de fortune, elle installe une modeste buvette en plein air pour offrir café, soupe et réconfort aux soldats épuisés. Cette initiative artisanale s’appuie sur le soutien du maire Édouard Herriot et de dons privés pour s’agrandir et s’abriter, pendant 1 782 nuits elle sert gratuitement plus d’un million de repas, devenant rapidement “la maman des poilus” ou “la Madelon” que l’on vient appeler de loin.

Reconnaissance et mécénat
Au sortir du conflit, la buvette attire l’attention de mécènes comme John Jacob Hoff ainsi que du monde politique lyonnais. En 1929, la République décerne à Clotilde la croix d’Officier de la Légion d’honneur pour son dévouement sans faille. Entre les décombres et la mémoire blessée, elle transforme son ancienne boutique de cordonnier en un traditionnel “bouchon lyonnais”, continuant à rassembler dons et bénévoles pour soutenir orphelins et anciens combattants, sa modestie et son charisme font d’elle la figure emblématique de la solidarité lyonnaise d’après-guerre.

Engagement civique et action sociale
Après 1918, Clotilde ne se contente pas de son rôle de restauratrice, elle préside des comités de secours, participe à l’ouverture d’un dispensaire municipal et collabore avec la Croix-Rouge. Toujours vêtue de son tablier, elle arpente les rues d’Ainay pour récolter vivres et vêtements, organise des collectes dans les écoles, reçoit objets et denrées qu’elle redistribue à ceux qui en ont besoin. Tantôt conseillère de fait, tantôt confidente, elle incarne la promesse d’un renouveau social à l’heure où la ville reconstruit ses communautés meurtries.

Retour du conflit et ultime dévouement
En 1939, lorsque la guerre renaît, Clotilde rallume sa buvette pour accueillir réfugiés et soldats, malgré ses près de soixante-dix ans. Elle voit ressurgir l’angoisse des tranchées et des familles séparées. Elle collabore à nouveau avec la municipalité et les associations caritatives, devenant l’un des rares repères familiers dans une France éprouvée par la peur et l’exode, son engagement démontre que la solidarité peut traverser les générations et les épreuves.

Assassinat et héritage mémoriel
Le 3 mars 1940, Clotilde Bizolon est retrouvée grièvement blessée à son domicile du n° 9 de la rue aujourd’hui nommée en son honneur, victime d’un crime qui reste encore, à ce jour, mystérieux. Elle décède quelques heures plus tard à l’Hôtel-Dieu de Lyon. Son enterrement réunit une foule silencieuse, témoin de l’amour populaire qu’elle avait suscité, et sa mémoire demeure vivace dans la ville par une plaque commémorative et le nom de sa rue, attestant d’une vie donnée pour les autres jusqu’à son tragique dénouement.