
Dans le panthéon des grands ténors italiens du début du XXe siècle, aux côtés de noms mythiques comme Caruso, Gigli ou Martinelli, se trouve un artiste dont la puissance et le style héroïque ont marqué l'âge d'or de l'opéra : Francesco Merli. Bien plus qu'une simple note de bas de page dans les livres d'histoire de la musique, il incarne un chapitre brillant et, pour moi, profondément familial, de cette passion lyrique.
Une ascension milanaise fulgurante
Formé dans sa ville natale, Francesco Merli fait ses débuts au Teatro alla Scala de Milan en 1916, dans le rôle d'Alvaro de Fernand Cortez de Spontini. Dès le 12 septembre 1918, il se produit sous la direction de Tullio Serafin dans Mosè in Egitto de Rossini au côté de Nazzareno De Angelis, puis crée le rôle-titre d'Urania d'Alberto Favara en création mondiale.
Dès 1919, sa carrière prend une dimension nationale : au Teatro San Carlo de Naples sous la direction de Leopoldo Mugnone, il incarne Luigi dans Il tabarro et Rinuccio dans Gianni Schicchi aux côtés de Gilda Dalla Rizza. La même année, au Teatro Comunale de Bologne, il interprète Paolo dans Francesca da Rimini de Zandonai sous la baguette de Tullio Serafin.
La consécration internationale
Les années 1920 confirment son statut de ténor de premier plan : Walter dans Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg à Turin, Enzo dans La Gioconda à Parme avec Giannina Arangi-Lombardi, et des débuts internationaux remarqués.
En 1926, il entre dans l'histoire en créant le rôle de Calaf dans la première production de Turandot de Puccini au Covent Garden de Londres, un rôle qui deviendra l'un de ses chevaux de bataille. Sa carrière internationale l'amène à se produire en tournée en Belgique, en Australie, et surtout au Metropolitan Opera de New York en 1932 où il chante aux côtés des plus grands : Lily Pons, Giuseppe De Luca, Ezio Pinza et Lawrence Tibbett dans Aïda, Lucia di Lammermoor, Simon Boccanegra et Madama Butterfly.

Le titan verdien et veriste
Sa voix puissante et son engagement dramatique font de lui un interprète idéal des grands rôles véristes et du répertoire verdien. Son Otello reste dans les annales comme une référence absolue, influençant toute une génération de ténors including Mario Del Monaco et Plácido Domingo. Il triomphe également dans La Forza del Destino, La Fanciulla del West (Dick Johnson), et Carmen (Don José).
Jusqu'à sa dernière représentation d'Otello à Trieste en 1946, Merli aura porté les plus exigeants rôles du répertoire avec une vaillance et une endurance exceptionnelles.

Un héritage qui résonne en moi
La carrière de Francesco Merli n'est pas pour moi une simple curiosité historique ; elle est un écho direct de ma propre histoire familiale. En effet, mes recherches généalogiques ont révélé un lien bien plus personnel avec le ténor : Francesco Merli était le cousin germain de mon arrière-grand-mère maternelle.
Cette découverte a ajouté une dimension profondément émouvante à son art. Écouter ses enregistrements de "Nemico della patria" ou de "Come un bel dì di maggio" n'est plus seulement une expérience musicale, c'est entendre résonner une voix qui partageait les mêmes racines lombardes que les miennes, qui a bercé les conversations familiales et dont la renommée a dû emplir ma famille de fierté.
Le chant, un fil rouge généalogique
La présence de Francesco Merli dans mon arbre n'est en fait qu'une manifestation particulièrement illustre d'une tendance plus profonde : les arts et le chant en particulier, sont un fil rouge qui traverse ma généalogie.
- Du côté de ma grand-mère lombarde, outre le célèbre ténor, on trouvait des chanteurs d'église, mais aussi des chanteurs professionnels.
- Du côté de mes ancêtres sardes, le chant a cappella (en particulier le chant polyphonique traditionnel) n'était pas un art de scène, mais une pratique sociale et communautaire, un souffle collectif qui unissait les voix dans les moments de joie comme de deuil.
Cette omniprésence du chant et des arts n'est peut-être pas un hasard. Elle parle d'une nécessité viscérale de s'exprimer, de transformer l'émotion – qu'elle soit joyeuse ou douloureuse – en quelque chose de beau et de partagé. C'était une façon de résister, de célébrer et de simplement exister, bien au-delà des mots.
Francesco Merli n'était donc pas une exception isolée. Il était l'expression la plus aboutie, la plus brillante et la plus publique de cette pulsion artistique qui a toujours animé, plus modestement, le cœur de notre famille. Sa voix, captée sur le shellac, est le pont sonore qui relie ma petite histoire à la Grande Histoire de l'opéra, un héritage de passion et de beauté qui continue de résonner à travers les générations.